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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 12:16
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Moi je prends la photo.

On a conté à la Villa des arts de Rabat, hier. 9 conteurs, 3 par site, des contes venus du monde entier, en français et en darija, les noms des espaces de la Villa font rêver; musée éphémère, musée virtuel, villa du parc, villa sur cours. Le lieu est immense, une architecture plus mauresque qu'orientale, comme si l'on avait laissé le soin aux architectes d'imaginer le lieu en s'inspirant de l'Orient, mais sans y coller à tout prix. Les améngaments font donc place à l'art.
Dans le jardin, des fontaines, parfois d'influence asiatique, de l'eau qui bruit entre des pierres aux formes assez géométriques, là c'est au sol, d'autres fois des fontaines verticales à la française. J'aime moins. La beauté du lieu est soulignée par le soleil. Il pleuvait depuis plusieurs semaines et la pluie s'est arrêté la veille.
Ce sont les conteurs de l'atelier d'Amal qui content. Amal a fait de son atelier un lieu à géométrie variable. Peuvent y conter les ami(e)s, ceux qui participaient à l'atelier avant et ont dû quitter le pays pour raisons professionnelles et sont revenus juste le temps de quelques jours. C'est le cas de Sophie, une autrichienne qui vit à Berlin. Beaucoup de sérénité dans cet atelier, chacun fait ce qu'il peut a-t-elle coutume de dire. Sans doute pour ça que chacun fait plus que ce qu'il pouvait. Je pense à cette phrase de Ricoeur lue hier matin "Croire que je peux, c'est déjà être capable".  
On est prêt. La classe de M, conte l'histoire du Gruffalo, ce conte adorable qu'on rêve tous d'avoir écrit. Il laisse à chaque fois le même air réjoui sur le visage de ses auditeurs. Il raconte l'histoire de la souris qui déjoue dans la forêt les pièges que lui tendent 3 de ses prédateurs rencontrés les uns après les autres (le hibou, le renard et le serpent), affirmant avec conviction qu'elle attend son ami le terrible Gruffalo, le monstre terrifiant qu'elle décrit avec force détails. Jusqu'à ce qu'elle le rencontre vraiment, alors qu'elle avait imaginé ce personnage, ignorant qu'il existait vraiment.

On trouve assez facilement l'histoire sur le net. Les enfants sont là 1 heure avant, M a marqué au sol le déplacement des enfants, les parents sont là à filmer les répétitions. Les enfants sont en moyenne section maternelle et ils content dans un lieu qu'ils ne connaissent pas devant une centaine de personnes et ça marche. La narratrice, Camélia, 4 ans et demi joue son rôle à merveille, allant jusqu'à reprendre les enfants qui entrent en scènes très tôt. "Attends, mets toi là, j'ai pas fini mais le disant doucement pour ne pas être entendue par les spectateurs.
Puis Driss, un adulte cette fois, un conte en Darija, c'est l'arabe vernaculaire parlé ici.
Enfin, c'est mon tour, On joue Bach. Je repense à Manu qui me dit qu'il est énorme ce conte. Besoin de m'isoler.  
Le même stress qu'avant une compétition de judo, le même sentiment qui dit "j'ai peur mais je ne lacherai pas" et l'envie forte d'y aller, enfin me confronter à un public nombreux, adulte et dans un cadre un peu formel. Je me répète les mêmes phrases, je suis prêt, faire du mieux que je peux, prendre du plaisir, ne rien regretter. Je respire de la même façon. Et j'y vais. Les mots du judo, c'est comme une baston. Et qu'est ce que ça fait du bien.

Ca dure une demi-heure. 
Une centaine de personnes de tous les âges, ça ne bronche pas, bouge très peu. Tous écoutent cette histoire, les calages musique ne fonctionnent pas parfaitement, c'est à moi de la lancer la prochaine fois, De plus, je ne m'appuie pas suffisamment sur l'idée très structurante pourtant de tableaux. Le conte peut se dire en 9 tableaux.
Mais je me bats. Et je vais chercher les gens du fond. Je m'étais rendu compte de ça lorsque j'avais conté pour la première fois dans le cadre de l'atelier d'Amal. Je veux que les gens me suivent.
Et comme je vais chercher les gens du fond, ma voix se fait plus forte. 
M l'a remarqué, je les regarde, m'adresse à eux, je leur dis "allez viens dans mon histoire", la qualité d'écoute est bonne. Petits et grands s'y retrouvent. Puis c'est la chute, Alexandre quitte le cirque, y laisse son nom et part avec le lion, il s'appellera Alexandre Romanès. Les gens applaudissent pas mal me semble-t-il mais je me trouve nul. Envie de ma cacher. Des enfants viennent me faire des bisous, plusieurs personnes me complimenter dont Catherine DW dont l'avis m'était assez précieux. Une maman aussi dont les mots sont trop forts. Bien mais peut mieux faire, besoin de ces appréciations  scolaires qui montrent le chemin. Je sais un peu mieux à chaque fois le chemin qui me reste à parcourir et je sais aussi que ce chemin est sans fin. Au moins toucher parfois au sentiment d'être satisfait de moi, comme lorsque j'avais conté à Al Mansour devant Manu. Bruno m'avait prévenu, tu ne seras pas toujours bon, tu le seras rarement peut-être. Je pense souvent à cette heure passée chez lui à me faire conseiller. 
 
On en parle plus tard devant une bière avec Dominique qui  a conté dans un autre atelier et a assisté au mien. Elle dit "ton entame est tirée par les cheveux", demande ce que vient faire Rostropovitch et le mur de Berlin ? "Passe directement à l'arrivée du cirque dans le village" conseille-t-elle. Et encore "Ta chute est trop faible par rapport à la force de ton texte, reprends ta chute !" Je prends ces conseils comme une injonction. Pas seulement parce qu'ils viennent d'elle, mais parce que le regard sur le conteur est toujours bienveillant. J'apprécie ces regards qui font grandir.
Elle parle de la force du texte, de mon engagement. "Ne lâche pas". "T'es bon là, y'a un truc". Quelqu'un qui ne s'emmerde plus à tourner autour du pot. J'aime beaucoup sa voix éraillée. Même la bière à ce moment-là j'apprécie alors que je ne prends plus de plaisir à l'endroit de la bière. Envie de thé plutôt. Et puis la proximité de M.  
Dominique dit aussi, "tu es trop sévère avec toi-même". 

Je veux conter.
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