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21 février 2012 2 21 /02 /février /2012 10:45

Quand le vieil homme arriva à la fin de son long chemin de vie et qu'il fut temps de se poser pour regarder, il entendit son nom, le bruissement assourdissant de son nom.
"Hé Marcello" dit par des dizaines d'enfants différents dans la cour de l'école. Comme le pépiement de milliers d'oiseaux.

"Marcello", celui de sa mère au réveil. Marcello, dans la bouche de sa mère encore, pour le faire rentrer les soirs d'août après qu'il eut joué dans les champs, dans les rues, dans les grottes, dans les forêts de Pont l'Abbé, ça tintait quelques minutes après la cloche du village. 

Suivi de peu par le "Oh non Marcello », des copains dépités de le voir rentrer.

"Marcello", celui du maître qui grondait. M. Chabaneix surtout.
 
"Allez Marcello", celui dit par son père, depuis les tribunes des terrains de foot mais à d'autres moments plus précis où l'on ne peut que se retrousser les manches pour y aller, même si la décision vient d'autres. Au collège par exemple. Le premier matin au collège, le premier jour de l'internat alors.  

Et à ce moment quand il fallut aller à la maternité la première fois pour y accueillir Marie.

"Allez Marcello", cet encouragement comme un coup de pied aux fesses qu'il sut se dire à son tour lorsqu'il fut seul et que la vie l'amena là où rien d'autre n'est possible que d'y aller. Allez Marcello.
 
"Oui Marcello", celui de Lise, sa femme à l'église qui lui avait répondu à lui plutôt qu'au prêtre. Qui se mariait avec lui devant Dieu.
 
Un bruissement de Marcello joyeux. Il avait été ce Marcello là.

Puis les amis s'étaient faits moins nombreux et la musique de Marcello s'était faite plus sérieuse. « Tu es trop dur en affaire » lui avait-on dit sur le ton du reproche. Avant de s'entendre dire « Marché conclu Marcello ».

"Courage Marcello" lorsqu'il lui était arrivé d'en manquer dit par Lise pour l'aider à trouver la paix avant l'endormissement. "Marcello" quand elle l'accueillait en elle.
 
Et puis d'autres façons de l'appeler. P'Peu, répétés à l'infini dans le gazouillis de l'âge. P'Peu, P'Peu, les deux syllabes bien distinctes dans la bouche de sa fille. « Papa » quelques mois plus tard, un « papa » aux sonorités plus claires encore quelques mois plus tard dit les yeux dans les yeux par une enfant de 18 mois. Un papa qui l'avait fait père et ne l'avait jamais plus quitté, qui s'était manifesté il y a quelques heures.
"Ca va papa ?" au téléphone tout à l'heure.

Oui chérie, ça va, ça va bien même et puis tout bas, dans sa moustache qu'il n'avait pas "C'est juste que c'est le moment d'y aller". De terminer ce long chemin de vie qu'il avait tant aimé.

Il avait aimé aimer, aimé avoir froid, aimé se coucher tôt, avoir peur, se coucher tard, sentir l'eau dans son gosier, se soulager après avoir eu tant envie de pisser, de boire, de manger, entendre sa femme jouer du piano, voir sa fille rentrer avec des fleurs.
Il avait aimé s'être tant inquiété pour ses filles, aimé avoir été rassuré tout autant, parfois après de longues années, aimé les savoir dormir pendant les quelques minutes qu'il s'octroyait parfois dans leurs chambres quand la maison respirait la douce quiétude de ceux qui aiment et se savent aimés. Il avait aimé aimer. Il avait aimé les aimer.

"Eh papa", "Eh Chérie". "Eh Marcello". La vie lui offert ce nom et toutes ses musicalités. Il avait aimé porter ce nom et tout ce que ce nom lui avait apporté d'amis.   

La vie lui avait tout offert, plusiseurs fois. Le meilleur et le pire. Parfois au même endroit.

"Eh Marcello !" C'était son grand-père maintenant qui lui tendait la main. "Allez Marcello, c'est le moment" entendit-il son père l'encourager.

"C'est donc ça le moment ?" se dit Marcello dans une phrase imponctuable entre l'interoogation incrédule et le constat.
 
Alors Marcello rassembla tout l'amour qu'il avait reçu et qui soignait tant son coeur, comme on ramasse le fouillis épars tombé d'un sac,
regarda les siens disséminés dans le temps de sa vie et la géographie du monde, les remercia.
En les remerciant, c'est Dieu qu'il remerciait. Ils avaient été Dieu. Il souhaita du fond de son âme que chacun reçoive autant qu'il avait reçu d'eux, se doucha, se rasa, mit une chemise et un pull propre, sa jolie veste marron, il la brossa et s'en alla. 

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