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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 08:09

La rencontre avec Pascal Yokum m'a beaucoup impressionné. C'est un comédien du Pays Basque. Il était un  jour passé à la maison pour me raconter son après-midi de la veille où il avait lu "un texte qui avait éclairé sa journée". C'était un après-midi maussade d'avant Marie. Avant que Marie ne vive définitivement chez nous. Dès que Marie quittait la maison ou lorsqu'elle était absente, l'inquiétude occupait tout l'espace. Comment allait-elle ? Comment allait-elle retrouver sa mère ? Comment sa mère allait-se comporter ? Quelles limites la retiendrait ? Vivre loin de Marie déterminait tout, vivre avec elle soulageait un peu. J'ai passé 17 ans à m'inquiéter, et je me pose la question aujourd'hui de savoir ce que cette crise a laissé comme traces sur ma santé notamment.   

 

Je ne savais pas que les journées pouvaient être éclairées par ce type de "faire", je parle de Pascal. Maintenant oui. Ce que j'avais pris pour une curiosité était l'expression d'une juste maturité. Voir les choix de l'autre, à ce moment, comme une curiosité me renseigne sur mon égocentrisme d'alors.

Pascal m'avait initié aux effets de l'imaginaire sur nos vies.  

Le texte qui suit s'origine là et aussi dans les mots trouvés chez Hervé Guibert par lesquels il exprimait avoir tellement "envie de mer" qu'il hésitait à écrire une fiction dans laquelle il se baignerait dans une eau chaude.  Guibert était en fin de vie et son corps ne lui offrait plus cette possibilité. Oeuvre d'Hervé Guibert dont la lecture m'a autant ennuyé et pourtant tant marqué. Il faut vieillir pour comprendre Guibert et sentir le poids de ce vieillissement dont je fais l'expérience depuis 2004.

 

Le texte donc.

 

C'est pour les fois où il pleut, où il pleuvra. Parfois, il pourrait pleuvoir, les nuages s'entassent comme une file de voitures à un péage d'autoroutes, seulement quelques unes d'entre elles s'écoulent, trop peu pour que ça se voit. Les nuages stagnent en soi, poussent sur la poitrine, oppresse le diaphragme. Des nuages qui se transforment en symptômes.

 

Un péage qui égrenne des voitures. Trop peu pour que cela soulage. 

 

Parfois c'est pareil dans le ventre, les nuages s'amoncellent, il pleut, c'est dur, seul, de s'attraper toute cette pluie, alors quand tu seras seule, et qu'il pleuvra, que ça sera un peu dur, que le cœur se tendra, ben y'aura ce petit bout de jardin qu'il faut que je te fasse connaître, un bout de jardin pour toi.

 

C'est un jardin sur l'île madame, un jardin de curé. ça sent bon les petits jardins de curé. L'île madame, c'est ce lieu où mon père m'apprît à pêcher le crabe. Mon père me manque ce soir, un manque tant.
Cela sent le thym, le laurier et la fraise un jardin de curé et cela sent cette herbe aussi, ah oui, cela sent la mélisse. Cela sent le lavoir de Pont l'Abbé. Tu trouveras facilement l'île madame, c'est une petite île de Charente-Maritime, je n'y ai vécu que des choses douces avec des êtres chers et très chers. Avec mes filles, mes amis Jean-Pierre, Manu, Franck, avec G... aussi.
Avec mon père, avec M. bien sûr. J'arrive maintenant à écrire sur ces femmes sans chavirer comme une vieille barque en mer. 


Nous nous étions laissés enfermer, la mer avait recouvert la passe. C'est une île où l'on peut aller à pied à marée basse. Aucun d'entre nous ne s'en était inquiété, nous étions là pour cela, pour échapper aux bruissements du monde et se laisser bercer, doucement bercer par ceux de la mer. Ramassage de morceaux de verre poli, de coquillages, consommation d'un café au lait hors de prix au seul café de l'île. Encore heureux de trouver de quoi boire et manger.

Parfois, ce n'est plus un bruissement ce bruit de la mer, c'est un chuchotement, un chuchotement tout doux.

L'écrire me berce, être bercé dans les bras d'une maman. Pas ma mère, qui me dirait "Viens, viens dans me bras, abandonne toi maintenant, cesse cette lutte qui t'épuise". Les bras de ma femme plutôt, des bras qui consolent.

Je lâcherais alors les petits enjeux de ma vie pour n'être qu'une respiration. Et au delà, pour n'être qu'une respiration du monde. Plus moi, ce sujet avec sa conscience propre, mais une respiration, une respiration qui commencerait par un soupir, puis trouverait naturellement, naturellement mais lentement un rythme. Le vrai rythme. 

Marie y a pêché ces premières crabes. Enfin, elle y a regardé ces premiers crabes parce que je ne suis pas sûr que des crabes, elle en ait attrapés beaucoup. Elle disait que les crabes l'attrapaient.  

 

Tu trouveras l'île mais pas le jardin, pas si tu n'y es pas accompagnée, ce mot écrit t'aidera. On peut y aller à loisirs. A profusion aussi, à discrétion, à bâton rompu. On ne peut y rester que quelques minutes ou y passer la nuit, on y laisse ses métaux à la porte du temple.


Tu passes d'abord devant une petite porte de couleur verte, on peut ne pas la voir, tu empruntes le chemin qui longe l'ancien fort militaire, le fort est à ta droite. Laisse-le à ta droite. Tu empruntes le chemin de ronces, les ronces sont sur ta gauche, la porte aussi, juste après les ronces, elle est ouverte cette porte, pas béante mais ouverte.

 

Pousse la porte, baisse la tête. Tu ne t'es pas blessée ?

Voilà, tu y es. J'ai découvert ce jardin comme on découvre l'Amérique. Le lieu existait. D'autres que moi l'avaient imaginé, fabriqué pas à pas, soigné, contorsionné, balayé, épousseté. Chacun y avait mis ce qu'il est. Qui, un arbre fruitier, qui un banc, qui une allée, qui un thé brûlant, qui une trace dans l'écorce de l'arbre, qui un oiseau, qui une bouche bée, une bouche en cœur. Ce jardin avait voyagé d'homme à homme jusque moi. Le voici. 

 

L'anniversaire

Parfois, c'est un anniversaire que l'on y fête.
C'est souvent très gai, tout est différent, l'air se charge de baisers, ça claque sur les joues alors qu'on ne s'y attend pas "oh mais, arrêteuhhhhh" est-on tenté de dire mais très vite on y prend goût. "Attends toi" que je t'attrape semble-t-on dire au baiser qui volette. Et tu coures après, à perdre haleine, à perdre toute contenance, tu te marres à gorge déployée, tu trébuches, tu es ivre de cette joie simple qui fait dire à l'enfant "ch'suis contente, ch'suis contente", sans qu'il ne sache dire pourquoi. L'enfant bat des ailes à ce moment-là du ch'suis content, trace active de son passé d'ange.

Vite un baiser, il y en a un là, un autre là, tes joues rosissent à la fois de l'effort fait d'abord pour y échapper, puis à les réclamer et des traces qu'ils laissent sur les joues. Cela aime dans tous les coins.

Cela se passe toujours en plusieurs temps les anniversaires au jardin. Après les baisers, viennent les souhaits. Putain que ça fait du bien les souhaits! Un défilement d'êtres chers et désirés, chers depuis tout le temps. Parfois, les êtres sont chers mais non désirés alors ces jours-ci, ceux-là ne viennent pas, on les laisse à la lisière de soi, on les verra plus tard.
C'est curieux ce défilé, y viennent les vivants qui habitent trop loin de chez toi, là ils sont là, parfois gentiment endimanchés, passés dire je t'aime comme on s'arrête pisser. D'autres fois, ce sont des êtres chers disparus qui passent en coup de vent dire je t'aime aussi. 
D'autres fois, on reçoit des souhaits d'inconnus en chinois, en bulgare. T'entendre dire, aujourd'hui, joyeux anniversaire en batave par un mec édenté qui sourit, si vieux, si beau.    

Alors, tu t'arrêtes estourbie, après une heure de ce tourbillon d'amour, tu t'arrêtes pour regarder le bleu du ciel dans cette percée de nuages, de jolis nuages dentelés, tu t'arrêtes, remplie à ras bord de cette humanité, tu regardes encore ce petit bout de machin de ciel bleu, divinement beau. 
Et tu remercies Dieu de t'avoir mise là, à cette juste place d'être toi.

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