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1 janvier 2010 5 01 /01 /janvier /2010 13:20

Je tiens cette histoire de mon père, veux tu que je te raconte l’histoire de la harira[1] disait-il, et il  racontait.

Il racontait qu’il y a de cela bien longtemps les habitants d’un village voisin vinrent arriver un matin un drôle de personnage. Un personnage qui marqua singulièrement et pour longtemps les esprits des sages et des fous ainsi que la vie du village. Le village était riche alors comme peut l’être un village peu prélevé par l’impôt lorsque les récoltes sont abondantes. Peuvent être riches les villages à proximité des gros bourgs qui alimentent de leurs productions les villes voisines. C’était un village d’éleveurs et d’agriculteurs.

 

Les poches étaient pleines et les cœurs de ses habitants arides, comme les oueds l’été. On ne voisinait plus. Même les récoltes, on  les faisait seuls.

Plus de fête des vendangeurs, plus de veillée aux marrons.

On vivait bien riches et bien seuls. L’avarice était arrivée dans le même temps que l’opulence, on ne se prêtait rien de peur que cela manquât.

 

 C’est dans ce village que l’homme arriva. Il était vêtu chichement comme peut l’être un journalier mais était resté propre. Il portait à son flanc une besace. Il arriva assez tôt le matin à l’heure où les hommes partent aux champs. L’homme avait faim et s’était réjoui de voir fruits et légumes en abondance dans les champs à son arrivée. Il n’avait rien pris, on ne vole quand on a sa dignité. Il s’assit sur la place du village, 2 chemins y conduisaient. Je vais prendre celui-ci se dit-il et quêter ma pitance pour midi. Le chemin qu’il prit était bordé de jolies maisons, il frappa à la porte de la première. La porte ne s’ouvrit pas. Mais il n’avait encore rien demandé que déjà un volet à l’étage se fermait rudement. Un avare se dit-il, encore un qui a peur de l’étranger.

Il frappa à la seconde, on lui répondit à travers la porte, que l’on n’avait rien à donner et on l’exhorta à poursuivre son chemin.

Il frappa à la troisième, la porte s’ouvrit et un vieux au regard soupçonneux en sortit les bras croisés. Que veux tu étranger le rudoya-t-il ? Juste un morceau de pain répondit l’homme, un fruit et quelques sucres que j’empocherai avant de reprendre mon chemin. L’homme se retourna et sans un mot claqua la porte.

Il frappa à la quatrième, la porte s’ouvrit. On le toisa, la porte claqua. Et ainsi de la cinquième, de la sixième et de toutes les autres portes de la rue jusqu’à la dernière. Le temps qui passait creusait encore un peu plus son estomac. L’homme avait faim. La dernière porte s’ouvrit sur une jeune et jolie femme. Qui entendit sa requête, le fit entrer, lui offrit à boire et regretta bien sincèrement de ne pouvoir lui offrir à manger. Elle-même ne mangeait pas à sa faim. Son intérieur le prouvait bien.

Il la remercia, la complimenta tant pour sa beauté que pour son hospitalité et regagna la place du village.

 

 Le soleil était à son zénith, le fumet des repas exhalait maintenant. L’homme ouvrit sa besace. Se put-il qu’il y eut laissé quelque chose à manger ? Rien. Si encore, pensa-t-il… Toute hypothèse se trouvait marrie, l’homme ne mangerait pas.

C’est en voyant une vielle marmite, abandonnée là depuis bien longtemps, une vieille et grande marmite que lui vint l’idée qui transforma et ce pour toujours la vie du petit village.

Il alluma un feu, juste au milieu de la place et y mit la marmite.  

 

Puis emprunta la seconde rue, frappa à la première porte. Elle  s’ouvrit sur un visage sévère. Je prépare une bonne soupe pour midi sur la place du village et dans ma précipitation, j’ai oublié l’huile s’excusa-t-il.  

« J’allais jeter celle-ci » fut ce qu’il entendit-il d’une bouche béante. File maintenant.

L’homme s’en saisit, déglutit parce qu’une telle haine et l’alla mettre à chauffer. Son crépitement parvint à l’oreille des plus jeunes. On préparait quelque chose sur la place du village.

 

Il frappa à la seconde porte, je prépare une bonne soupe pour midi sur la place du village et dans ma précipitation, j’ai oublié les oignons dit-il à la femme sur le seuil de sa porte. 

Les oignons ? s’entendit-il répondre. Si ce n’est que ça, prenez-en donc. La femme lui tendit plus d’oignons qu’il n’en fallait. Il les prépara, les mit à revenir.

Il usa du même stratagème à la 3ème porte et revint avec les carottes.

Voilà ce qu’on vient de m’offrir dit-il au seuil de la quatrième maison en montrant les oignons et les carottes.

-         Qui lui demanda-t-on ? Je ferai mieux commença-t-il à entendre. C’est ainsi qu’on lui offrit les plus beaux pois chiches qui fussent. La cupidité venait de prendre le pas sur la générosité des deux précédents.

On lui donna des lentilles ainsi, venus tout droit du jardin de la 5ème maison.

-         Qui ? lui avait demandé après qu’il eut énuméré ce qu’on lui avait donné. Je ferai mieux. Les meilleurs du monde avec un goût salé et de caramel aussi. Et c’est vrai que ce fut mieux. Des lentilles comme des caramels au beurre salé.

 

-         N’a-t-on pas oublié la farine s’enquit la commerçante ? J’en ai et de la bonne et de la gratuite. Combien vous en faut-il ? On devenait généreux.  

 

L’homme avait cessé sa quête, chacun de s’approcher de l’immense marmite, d’y aller de son commentaire et de son ingrédient. La place se gorgeait de monde. Tenez goûter ce gingembre venu tout droit du Surinam et ce persil de Saigon. Et c’est vrai que le gingembre était bon, et le persil, oh le persil. Un persil qui fond sur la langue dont on essaie de conserver en bouche le moindre jus. On se complimentait, on appréciait les aliments comme les mets les plus fins. On était chez Bocuse, on était dans un palais de Thaïlande entre gens de bonne compagnie. 

Et ce safran des rives du Mékong ? Vous m’en direz des nouvelles ? Et des nouvelles en furent dites et des bonnes. Et l’on se félicitait, se tombait dans les bras, prenait des nouvelles du dernier, celui qui marchait si bien à l’école.   

On se parlait enfin.

 Le boucher lui-même, pourtant si chiche de ses pas, pour cause d’embonpoint et chiche pour sa bourse pour cause d’avarice, lui apporta la pièce manquante, la pièce reine, de la gîte de noix.   

  

 

    Le bruit s’en répandit dans la première rue, voyez cet attroupement. On préparait une soupe vint confirmer l’occupante de la première maison. Une soupe ? Mais en quel honneur lui avait-on demandé ? En l’honneur d’un roi avait-elle plaisanté.

En l’honneur d’un roi avait-on colporté sans plus plaisanter. La rumeur courut tant est si bien qu’elle transforma le pauvre hère en roi. Un roi faisait les honneurs du village et offrait une soupe à qui voulait bien se déplacer.

 

Il était l’heure de souper maintenant. Des tables nappées furent dressées, les couverts aussi, les verres sortis des ménagères, et le vin des caves, et les desserts mis à disposition.

 

Des desserts de chaque famille de dessert : de la crêpe, du sorbet, de la mousse au chocolat, de la chantilly, du qui sent bon, du qui est beau et si moelleux qu’on nagerait dedans, du qui fait du bien au palet, et d’autres bien sûr. Du solide, du liquide, du chatoyant, du bleu.    

 

On faillit oublier le fromage et pourtant l’on sut s’en délecter.

 

On se servait, s’embrassait, se pleurait contre l’épaule et tout cela faisait bien chaud au cœur, on avait cessé d’être cons.

 

Le pauvre hère, devenu roi maintenant, alla frapper pour la deuxième fois à la dernière porte de la 1ère rue, on lui ouvrit, toujours aussi jolie et toujours aussi modestement vêtue et l’on  accepta avec plaisir l’invitation à venir se réjouir parce que les occasions avaient bien manqué ces derniers temps, et on fit bien parce que l’on fut heureuse et heureux jusqu’à la fin de la vie, et encore plus lorsque l’on eût deux enfants, ma sœur et moi. 



[1] C’est le nom d’une soupe marocaine.

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commentaires

L
<br /> Bonjour et merci, je me suis appuyé sur le conte "la soupe aux cailloux" que je trouvais trop sec, je voulais à la fois l'exporter au Maroc où j'ai vécu quelques mois et en faire une histoire<br /> d'amour. Sous ce format-là, le conte a bien fonctionné, me souviens d'une petite fille marocaine qui avait été emportée par cette histoire. Et qui était restée longtemps un sourire aux lèvres après<br /> avoir dit un truc un beau. A mon tour d'aller faire un tour sur votre blog. Jacques<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Très joli conte de sagesse comme je les aime. Est-ce une création personnelle ou vous a-t-il vraiment été conté par votre père? Est-ce un conte marocain? Merci en tous cas pour ce moment de lecture<br /> plaisir§!<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Noctambule ... C'est Super !!<br /> <br /> Mais tu as réussi un Bog magnifique ....<br /> Et d'une lisibilité tellement plus commode que le mien!!<br /> Quel format ou Style ?<br /> <br /> Pour ce qui est des Contes.. La "Harirra".. je ne connaissais pas !<br /> En effet je reconnais, et c'est super ...<br /> Par contre .. Je n'ai aps osé, moi en mettre sur mon Blog, avant de les avoir assez "retravaillés" pour qu'ils soient devenus "miens"<br /> Et si je le fais ce sera avec la mention<br /> "d'après XXX dans ..."yyy" Edit ZZZ<br /> <br /> Serais-tu d'accord pour échanger sur des questions de "mâchage " de mots, et de stylistique pour des textes "à lire-dire", oralisés .. même imprimés !!<br /> Je commence à chercher un éditeur, si jamais tu en connaissais un ...<br /> <br /> ( vous rentrez le 21 février pile !!??<br /> Donc impossible de profiter des vacances pour venir vous voir ??<br /> Amitié<br /> JYves<br /> <br /> <br />
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